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La lutte informatique d'influence

La lutte informatique d'influence

Samedi, 20 Janvier 2024

Influence, souveraineté numérique et intelligence artificielle

Cyberinfluence

L’origine du mot influence, relatif aux actions attribuées aux astres agissant sur le sort des hommes et la destinée humaine, remonte au 13ème siècle. Ce statut d’autorité, le pouvoir politique, économique, médiatique et social qui consiste à influencer, à manipuler, à agir sur le comportement et les décisions des personnes, passe désormais par des systèmes informatiques et d’intelligence artificielle dont la société est devenue dépendante. Internet et sa panoplie de services peut être considéré comme un vecteur d’influence mondiale doté d’une caisse de résonnance amplificatrice permettant t’atteindre toutes les entités qui y sont connectées.

Lutte informationnelle

Être connecté, c’est être relié à un fournisseur de service, c’est accepter ses conditions d’utilisation et son mode opératoire. Quel que soit le processus qui conduit à l’adoption d’un service électronique (envie, imitation, séduction, persuasion, coercition) les utilisateurs sont mis sous la tutelle d’un fournisseur. Ils acceptent son emprise et l’ordre du monde qu’il permet d’instaurer. Dès lors, des pourvoyeurs de technologies et de service sont capables de « programmer » l’humain.

Par ailleurs, des acteurs étatiques ou non étatiques, bienveillants ou malveillants, qui peuvent agir de manière loyale ou déloyale, sont en mesure de réaliser des campagnes d’influence de grande ampleur et de grande intensité. Messages persuasifs, spécialement ciblés, parfois ludiques et distrayants ou intimidants, constituent des vecteurs d’une propagande personnalisée très efficace. La culture de la propagande n’est pas nouvelle mais elle s’est désormais dotée de moyens d’une puissance jusqu’alors inédite autorisant des attaques informationnelles redoutables contre lesquelles les pays se doivent d’intégrer, dans leur doctrine militaire et leur plan stratégique de défense, un volet concernant la lutte informationnelle.

De facto, l’autorité politique d’un État, son expression du pouvoir et de sa puissance, dépendent de sa souveraineté numérique, c’est-à-dire de ses capacités à maitriser tout le cycle de vie des infrastructures et services numériques et celui des mais aussi des informations. Or nous ne maîtrisons ni la partie matérielle, ni la partie réseau et très peu la composante logicielle notamment du fait de notre recours systématique à des infrastructures cloud opaques.

Solutionnisme technologique

Dans son roman « 1984 » Orwell utilisait le néoparler pour montrer comment les modifications de la langue et du sens des mots rendent impossible l’expression des idées subversives tout en masquant la réalité des choses. Le mot « post-vérité » est entré au dictionnaire d’Oxford en 2016, depuis avec des techniques d’intelligence artificielle, il est possible de créer des contenus dont il est parfois très difficile, voire impossible, de distinguer le naturel de l’artificiel. Dans cette impossibilité à pouvoir différentier le vrai du faux, à décider si ce que l’on voit, entend ou lit sur Internet est juste, il est plus simple de croire au solutionnisme technologique, que toujours plus de technologie et plus de technologies plus performantes, vont résoudre les problèmes d’ordre politique, économique, écologique et social.

Le formatage des esprits et l’unification des récits à la pensée unique du solutionnisme technologique, contribue d’une part, à la confiscation de l’imaginaire qui empêche de penser des alternatives à la monoculture numérique Made in Silicon Valley et d’autre part, à renforcer la dépendance vis-à-vis des fournisseurs hégémoniques porteurs de ces idéologies.

L’artificialisation du réel par l’intelligence artificielle

René Magritte avec son tableau intitulé La trahison des images, plus connu par la déclaration y figurant « Ceci n’est pas une pipe. » montrait que même peinte de la manière la plus réaliste possible, la pipe ne peut être fumée. De la même manière qu’une carte n'est pas le territoire qu'elle représente, les données numériques, la vie numérique, les univers numériques, ne sont que des représentations, des abstractions médiées par la technologie, de la réalité. Les algorithmes instaurent un nouveau régime de vérité comme le rappelait déjà en 2018 le philosophe Éric Sadin dans son ouvrage précurseur « L’intelligence artificielle, ou l’enjeu du siècle ».

Force est de constater que l’informatisation de la société a conduit à l’artificialisation du réel. Le recours à l’intelligence artificielle et à ses capacités à organiser les modes de vie, à imposer des comportements, à prendre des décisions, structure l’ensemble de nos activités et conditionne notre manière d’être au monde et de vivre. Croire que c’est en cela que réside l’idée de progrès, qu’il n’y a pas d’autres alternatives ou qu’il ne puisse exister d’autres vérités que celles énoncées par les algorithmes, est une croyance artificielle. Les discours et récits sur l’innovation numérique, se basent sur les mêmes leviers que ceux relevant du domaine de la foi. Ils sont déployés à l’infini par des dirigeants politiques et économiques, avec le soutien des grands cabinets de conseils, des cercles de réflexion (think tanks), des réseaux d'influence (lobbies) et de certaines organisations internationales.

Fracture numérique ou rupture civilisationnelle ?

La véritable fracture numérique est liée à notre dépossession, par des artéfacts techniques et par leurs concepteurs, de nos aptitudes à pouvoir imaginer, parler, écrire, créer des émotions ou encore à décider. La transformation numérique de la vérité et l’artificialisation du réel font partie de notre quotidien et cela à l’échelle planétaire.

Et si le tournant civilisationnel pris du fait de nos pratiques numériques résidait en notre docilité et à notre appétence pour la facilité et la servitude volontaire ?

Est-ce en notre soumission aux promoteurs d’un numérique présenté comme salvateur que l’intelligence artificielle constitue une innovation majeure ?

suzette sandoz
Ecrit
Mardi, 6 Février 2024, 18:35
Merci de votre lucidité et de dire si clairement les choses. Puisse votre mise en garde être entendue!<br /><br /><br />
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