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 Hold-up numérique sur l’environnement et le vivant

Hold-up numérique sur l’environnement et le vivant

Lundi, 17 Novembre 2025

Le numérique, accélérateur du changement climatique

Le numérique est un secteur industriel qui contribue à épuiser les ressources naturelles et à polluer la planète. Les déchets électroniques, la consommation électrique et hydrique croissent avec la multiplication et l’intensification des usages numériques, en particulier ceux liés à l’intelligence artificielle, au streaming vidéo et aux cryptomonnaies.

Le numérique agit comme un catalyseur de consommation d’électricité, laquelle repose encore pour l’essentiel sur l’utilisation d’énergies fossiles, sources d’émissions de gaz à effet de serre.

L’accélération de la transition numérique de l’administration et des organisations, telle que soutenue par le secteur privé et public, ne prend pas en compte la dimension écologique du numérique. Ainsi par exemple, avec l’Administration Numérique Suisse promue par la Confédération via sa stratégie « Administration numérique suisse 2024-2027 », dont le plan de mise en œuvre pour 2026 vient d’être adopté, la thématique liée à l’environnement et au climat, ne fait pas partie des priorités stratégiques. Pourtant, il est primordial de s’intéresser aussi à la disponibilité de l’ensemble des ressources naturelles et humaines nécessaires à la dématérialisation de toutes les activités humaines en prenant en considération les risques environnementaux et géopolitiques associés.

Les préoccupations écologiques, environnementales ou climatiques sont aussi absentes du rapport du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche sur l’intelligence artificielle « L’IA au sein de l’administration publique ». Alors que des études comme celle du Shiftproject « Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné ? » démontre qu’à l’horizon 2030, la trajectoire dans laquelle se projette la filière centres de données est insoutenable.

Des centres de données sans limites

Des centres de données, aux dimensions gigantesques se construisent régulièrement un peu partout dans le monde comme ceux par exemple du Project Rainier d’Amazon à New Carlisle en Indiana sur une surface d’environ 486 hectares.

Certains centres de données peuvent se situer à proximité des agglomérations (campus de Cardiff en Angleterre (CWL1) répartis sur 19 hectares), en région artique (Kolos data center à Ballagen en Norvège, 60 hectares) ou dans des zones désertiques (The Citadel à Tahoe Reno au Nevada d’une superficie de plus de 660 hectares) et d’autres sont mis en orbite spatiale (constellation d’informatique spatiale, Zhejiang lab, Chine). Le nuage sous la mer est devenu réalité par l’immersion de centres de données pour réaliser des infrastructures d’informatique en nuage refroidies par l’eau de mer comme la fait par exemple la Chine (à Hainan et Shangaï) ou Microsoft (Project Natick au nord de l’Ecosse).

Les géants du numériques n’hésitent pas à se doter de centrales nucléaires pour alimenter leurs centres de données ou à détourner les ressources énergétiques et hydriques au détriment des populations des territoires dans lesquels ils s’implantent.

Le paradoxe de l’efficacité énergétique

Faire concorder des actions pour le climat avec celles qui génèrent toujours plus d’équipements, de données et d’usages numériques semble difficile. L’encouragement public et la stratégie des acteurs du marché du numérique se traduisent par une augmentation sans fin de la production des infrastructures, des déchets, de la consommation énergétique et des gaz à effet de serre.

Certains acteurs s’engagent dans des mesures d’efficacité énergétique, peu dans celles de réduction des besoins numériques et de consommation électrique. Le terme d’« efficacité énergétique » semble être globalement positif (comme peut l’être la réutilisation pour du chauffage urbain de la chaleur dégagée par des centres de données par exemple) mais ne compense pas l’effet rebond engendré par l’augmentation des pratiques numériques, qui deviennent plus importantes parce que moins énergivores à la marge et donc moins culpabilisantes.

Des cyberattaques néfastes à l’environnement

Les risques et les crises géopolitiques, environnementales, sociétales et technologiques constituent, selon le dernier Global Risk Report 2025 du World Economic Forum, des défis majeurs auxquels doit faire face un monde hyperconnecté. Désormais, les cyberattaques sur les infrastructures énergétiques et industrielles dont l’activité est liée aux ressources naturelles (usines chimiques, de traitement des eaux, plateformes d’exploitation pétrolière, stations d’épuration, laboratoires bactériologiques, centrales nucléaires, etc.) sont des facteurs de risques aggravants pour l’environnement.

Elles peuvent avoir des conséquences catastrophiques sur l’environnement et la biodiversité. Les dysfonctionnements et incidents de sécurité informatique ne sont bien sûr pas tous dus à des cyberattaques intentionnelles. Ils peuvent aussi être consécutifs à des erreurs (de conception, de gestion, d’utilisation), mais aussi à des d’événements naturels (inondation, tremblement de terre, ouragan, typhon, etc.) ou être consécutifs à des défauts de ressources énergétiques indispensables aux infrastructures numériques. Dans tous les cas, les conséquences de ces problèmes de sécurité et celles du colonialisme numérique sont dramatiques pour nos sociétés et l’habitabilité de la planète.

Contradictions majeures ou schizophrénie collective ?

À l’heure de la Conférence des Nations Unies sur le climat (COP30 - Belém, Brésil, 6 au 21 novembre 2025), le fait que l’écologie, la retenue numérique, l’intelligence artificielle frugale, soient rarement placées au cœur des priorités stratégiques de la majorité des pays, est désormais problématique.

Lorsque la dimension écologique des traitements informatiques est absente des politiques publiques numériques, alors que l’impasse est délibérément faite sur les externalités négatives du numérique et de l’IA, comment peut-on accorder de la crédibilité au discours des dirigeants politiques relatifs aux mesures prioritaires à prendre pour lutter contre le changement climatique et cela un peu partout dans le monde ?

Sommes-nous sous l’emprise des faiseurs d’IA et des géants du numérique, aveuglés par le techno optimisme, addicts au techno solutionnisme ou simplement inconséquents pour occulter l’impact grandissant du numérique sur la dégradation de l’habitabilité de la planète ?

Sachant que les sphères du pouvoir sont sous l’influence de ceux qui maitrisent le Technopouvoir, peut-on raisonnablement penser que des acteurs indépendants (scientifiques, des organisations non gouvernementales ou des membres de la société civile) peuvent avoir un poids suffisamment important pour orienter les choix politiques ?

« Lire le monde – c’est déjà le changer »

« Lire le monde – c’est déjà le changer » est le slogan du prochain salon du livre et prix littéraire consacré à l’environnement qui se tiendra à Évian le 29 et 30 novembre 2025. Cet évènement autour des livres propose des rencontres et des conférences pour petits et grands. C’est une invitation à devenir plus conscient des mutations relatives aux défis civilisationnels et existentiels auxquels nous sommes tous confrontés. J’aurais le plaisir d’y intervenir sur le thème « Dépendances numériques et intelligences artificielles, amies ou ennemies de l’environnement ? » aux côtés de Philippe Monnin coauteur du roman « OFF » (Slatkine) en lice pour le prix Environnement.

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